Le Puy-en-Velay, en route pour Compostelle

21-05-2025
Point de départ de la Via Podiensis, plus ancien chemin de France vers Saint-Jacques de Compostelle, la cité accueille chaque matin des marcheurs prêts à en découdre avec l’itinéraire, pour trois jours, une semaine, ou plus. De la bénédiction dans la cathédrale du Puy jusqu’à la fin de la première étape, plongée dans un début de périple qui mobilise jambes et esprit et séduit de plus en plus de monde.
puy en velay
© Philippe Bourget

6h50 du matin, dans la ville haute du Puy-en-Velay. A l’heure où les touristes dorment encore du sommeil du juste, de curieux marcheurs grimpent, sac à dos volumineux sur les épaules, vers la cathédrale. En cette matinée de printemps, ces trekkeurs urbains d’un genre particulier ont rendez-vous pour la messe et la bénédiction de 7h, assurée ce jour là par Monseigneur Yves Baumgarten, évêque du Puy-en-Velay.

De quelques jours à plus de deux mois

 

Tous vont prendre, à l’issue de la cérémonie, le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Un périple à pied de quelques jours pour certains et de plus de deux mois pour d’autres,  beaucoup moins nombreux, à vouloir rallier d’un trait la ville espagnole de Galice. Voir une église en France copieusement remplie de fidèles à 7h du matin est un spectacle devenu rare. Sacs à dos posés le long des murs de la nef ou à leurs pieds, en short, leggings et chaussures de randonnée, plus d’une centaine de personnes suit religieusement l’office, avant que le prélat, d’un ton patelin, n’encourage les marcheurs dans leur future équipée, s’enquérant de leur parcours et de leur origine.

 

Pèlerinage intérieur…

 

Il y a des Français, logiquement majoritaires, venus de toutes les régions du pays. Mais aussi des Belges, des Polonais, des Suisses, des Suédois, des Américains, des Canadiens et même des Australiens. « Vous avez décidé de prendre un chemin qui va vous révéler, à travers la culture et les rencontres, un autre pèlerinage, plus intérieur, peut-être. Pour cela, il faut du temps, le temps de l’intériorisation pour aller au fond de vous-même. Je vous invite à découvrir tout cela dans un désir de foi », prêche Monseigneur Baumgarten, écouté attentivement par les plus croyants.

 

Les marches de la cathédrale

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© Philippe Bourget

Si certains sont là par piété, beaucoup assistent à la messe pour le symbole. Jusqu’à la traditionnelle et majestueuse ouverture des « portes » de la cathédrale. Au Puy-en-Velay, les battants ne s’ouvrent pas comme ailleurs à l’arrière de l’édifice, vers un parvis situé à hauteur de ville. Ici, des grilles s’élèvent lentement à la verticale depuis la travée centrale de la nef, libérant des volées d’escaliers et leurs 139 marches pour précipiter vertigineusement les ouailles depuis la colline religieuse vers la ville basse.

 

500 000 pèlerins en 2024

 

Portable allumé pour immortaliser l’instant, et munis d’un crédencial (carnet de route du pèlerin) et d’une coquille Saint-Jacques offerte par l’évêque, les marcheurs s’engagent dans la descente, protégés par l’onction catholique. Les voilà prêts à en découdre sur tout ou partie des quelque 1 500 km du parcours. « Entre le 1er avril et la fin octobre, il y a entre 80 et 300 personnes qui assistent chaque matin à la bénédiction et partent sur le chemin. Je suis ici depuis 2022, tous les ans, il y a de plus en plus de monde », constate Yves Baumgarten. Selon le prélat, de 25 000 pèlerins en 1984, la Via Podiensis a accueilli, sur tous les tronçons de ce chemin, balisé jusqu’à la frontière espagnole, près de 500 000 marcheurs en 2024 !

 

Marche libératrice

 

Si l’on rencontre encore sur l’itinéraire, né en 950 de l’initiative de l’évêque Godescalc, de véritables pèlerins animés par la foi, la majorité s’y lance pour des raisons plus païennes. Retour sur soi, désir de pause dans une vie survoltée, marche libératrice après une épreuve familiale ou un burn out, quête de sens, plaisir de l’effort, pari sportif… Les raisons sont aussi nombreuses que les marcheurs !

 

Même le roi Philippe et la reine Mathilde

 

Sur les marches de la cathédrale, Fransesco, belge résidant à Liège, a rejoint dans l’aventure Anne, une compatriote du plat pays habitant dans le sud de la France. « Je vais jusqu’à Conques, en une huitaine de jours. Moi, c’est le côté sportif qui m’intéresse », reconnait ce jeune senior, rappelant opportunément que quelques jours plus tôt, le 16 avril, le roi Philippe et la reine Mathilde, avec trois de leurs enfants, ont achevé le périple à Saint-Jacques-de-Compostelle, après l’avoir entamé il y a 8 ans. Anne et son amie, Sylvie, qui marche « pour avoir la paix », iront un peu plus loin que Conques. Mais pas question de dormir dans des gîtes de pèlerins ! « On est plutôt chambres d’hôtes, histoire d’avoir un bon dîner et un vrai petit-déjeuner, un lit douillet et ne pas être obligé de dormir à 15 dans un dortoir. Ca, c’est bon quand on a 20 ans ! », sourit Anne.

 

Verre de l’amitié la veille au Camino

 

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© Philippe Bourget

Après avoir dévalé les rues de la vieille ville, traversé la place du Plot où les étals du marché accueillent leurs premiers clients, les marcheurs, en solo ou en petits groupes, grimpent sur le versant opposé de la cité. Certains, la veille, sont passés par Le Camino. Près de la cathédrale, cet ancien hôtel particulier du 14 et 15ème s., doté d’un joli café-jardin, abrite « L’accueil des Pèlerins ». Ouvert de 17h à 19h pour un verre de l’amitié, « les marcheurs viennent échanger, se renseigner, se rassurer, aussi », témoigne Marie-Christine, une bénévole. Le Camino abrite également un parcours scénographique sur le chemin de Saint-Jacques, histoire de se mettre dans l’ambiance.

 

Des rues du Puy-en-Velay au chemin

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© Philippe Bourget

Il est un peu plus de 9h quand les randonneurs quittent l’ultime rue du Puy-en-Velay pour s’engager sur le premier sentier. Un pré, à côté, a été fauché de manière à reproduire une coquille St-Jacques. Cathédrale du Puy dans le dos, le lieu, à 711 m d’altitude, offre un joli point de vue sur Espaly-Saint-Marcel et son piton volcanique, occupé par une basilique et la statue monumentale de Saint-Joseph. Cette transition est l’occasion d’une pause. Les randonneurs se rafraichissent, ôtent une veste devenue superflue ou en profitent, avec leurs portables, pour réserver le gite du soir.

 

Jeunes, seniors, « solos », familles…

 

Nathalie, une Française, est partie seule, un mois, « pour me couper de la routine, faire un  vrai break et penser à d’autres choses. Là, j’ai encore tout dans la tête mais dans 3 jours, j’aurai oublié ! », dit-elle. Guillaume, venu de l’ouest de la France, part pour une semaine. Il n’a rien préparé. Cinq vendéennes, retraitées, envisagent de rejoindre Conques. Sauf pour l’une d’elles, c’est la première fois qu’elles s’engagent sur le chemin. Objectif : « vivre de bons moments ensemble, avoir des discussions sur des sujets existentiels et voir si on est capables de faire ça », témoigne Marie-Jeanne. Des jeunes, des seniors, des familles, des « solos »… A des allures différentes, les voilà tous partis sur le GR 65.

 

Gîte d’étape à Montbonnet… « La 1ère étape »

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© Philippe Bourget

Selon le rythme de chacun, l’étape du soir ne sera pas la même. Village agricole posé dans un paysage de pâturages et de collines boisées, Montbonnet, à 4h de marche du Puy, signe pour certains le premier arrêt. Là se trouve la splendide chapelle Saint-Roch, au bord du chemin. Bâtie en pierre du Velay, cet édifice roman à clocher-peigne dont l’origine remonte au 11ème s. est presque enfoncé dans la terre grasse du plateau. Dédié à Saint-Roch, devenu le saint patron des pèlerins au 17ème s., elle recueille, sur de petits papiers blancs pliés dans une corbeille, les vœux des marcheurs. Montbonnet abrite plusieurs gites d’étapes et d’autres hébergements mais s’il en est un où l’esprit du chemin de Saint-Jacques souffle avec force, c’est bien le gîte « La 1ère étape ».

 

Chemin de Saint-Jacques, une République indépendante !

 

Dans une maison traditionnelle du Velay, en pierre pouzzolane (rouge) et basalte (grise), ainsi que dans un chalet récent bâti au fond d’un jardin avec vue sur les monts d’Ardèche, Anne et Didier, eux-mêmes pèlerins du chemin de Saint-Jacques, accueillent, à 1 100 m d’altitude, jusqu’à une vingtaine de marcheurs chaque jour. « Tout le monde ici est dans la même énergie. Le chemin de Saint-Jacques est une République indépendante de 1 500 km de long sur 1 km de large, où règnent bienveillance et qualité des rapports humains », éclaire joliment Didier. Un changement aussi pour eux deux, venus d’horizons différents et qui se sont rencontrés sur les marches de la cathédrale du Puy, après des parcours de vie dans d’autres univers.

 

Gîte ou chambre d’hôtes ?

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© Philippe Bourget

Les randonneurs plus vaillants poussent en général jusqu’à Saint-Privat-d’Allier. A 6-7h de marche du Puy-en-Velay, ce village-étape dominé par un château et une église ne manque pas non plus d’hébergements, avec 475 lits et quelques magasins de bouche pour se ravitailler. « L’Escargot dans sa Coquille », au cœur du village, est l’un d’eux. Catherine Richard et Philippe Delarivière ont repris cette « affaire » en 2023, après avoir tenu une maison d’hôtes dans le Haut-Bugey (Ain). Dans trois maisons mitoyennes, ils proposent un gîte de 16 places, quatre chambres d’hôtes cosy et un restaurant ouvert le soir, avec une cuisine 100% maison. Le couple a aussi aménagé un centre de bien-être – leur valeur ajoutée – avec des lits de flottaison pour raffermir les muscles, et des soins prodigués par Catherine, rebouteuse-masseuse.

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© Philippe Bourget

Effets de la société moderne sur les âmes

 

« Ce qui nous anime, c’est d’apporter du plaisir. Ici, nous voyons le monde entier, des Allemands, des Belges, des Anglais, des Canadiens, des asiatiques… Notre plus jeune client était un enfant d’un an, avec ses parents. Le plus âgé, une dame de 86 ans. Elle a même dormi au dortoir ! », se souvient Catherine. Parce que l’étape du jour 2 est rude, avec la descente puis la remontée dans les gorges de l’Allier, le petit-déjeuner est très roboratif. Et les soins de Catherine, bien utiles. A leur poste, ils voient aussi les effets délétères de la société moderne sur les âmes. « Beaucoup de marcheurs viennent pour se reconnecter à eux-mêmes. On reçoit aussi des jeunes de 25-30 ans qui ont fait de longues études et sont paumés face aux défis qu’ils ont à relever », intervient Philippe. Autre tendance chez certains marcheurs : la demande de confort le soir à l’étape, qui leur fait préférer les chambres d’hôtes aux gîtes d’étape.

 

Rochegude, vigie des gorges de l’Allier

 

puy en velay
© Philippe Bourget

Et puisque sur ce chemin, le principe est de ralentir, il n’est pas interdit de faire de longues pauses pour profiter de sites magnifiques. L’un d’eux se trouve à 3 km de Saint-Privat d’Allier : Rochegude. Une tour ronde, vestige d’un château du 13ème s. ; une chapelle rustique à clocher-peigne et chevet rond couvert de lauzes ; une poignée de maisons paysannes ; des rochers ; et la vue, surtout, panoramique, sur les gorges de l’Allier et ses versants boisés, 350 m plus bas. Rochegude, « château de rochers » comme on dit par ici, affirmait jadis l’autorité de seigneurs locaux le long de la rivière, ancienne frontière du Velay face à la Basse Auvergne. Des marcheurs de Saint-Jacques s’y arrêtent pour pique-niquer, séduits par la beauté du lieu. C’est l’une des multiples occasions de poser le sac et de méditer au long d’un itinéraire où les paysages et les rencontres font de vous, parait-il, un « autre homme ».

 

En savoir plus

Le Puy-en-Velay Tourisme. lepuyenvelay-tourisme.fr