El Goléa, une oasis, un ksar et l’émouvante histoire de Charles de Foucauld

Daniel de Le Hoye,
28-12-2022
Sur cette route incroyable qui traverse le Sahara algérien, la nationale 1 qui relie Alger à Tamanrasset, me voici à El Goléa après être avoir découvert Ghardaïa (à 870km au sud d'Alger).  Cette ville oasis est l’une des dernières avant le grand Sud et le Hoggar. Ici, il est encore possible d’élever un troupeau de bétail, de cultiver pêchers, abricotiers, amandiers, grenadiers grâce à l’eau qui se trouve à quelques mètres sous terre, ou encore de récolter les dates qui poussent à profusion dans l’immense palmeraie de plus de 300.000 palmiers.
Le Ksar sur son promontoire Daniel de Le Hoye ©

Un autre peuple, des autres coutumes

Ce qui est frappant par rapport à Alger, c’est de voir combien la population a changé. Les peaux sont plus foncées et le turban légion pour se protéger la tête du soleil. Nous sommes toujours sur la route des Caravanes qui traversaient le Sahara pour acheminer leurs cargaisons.

L’entrée principale Daniel de Le Hoye ©

El Goléa a d’ailleurs en bordure de la palmeraie un Ksar (village fortifiée en torchis) qui surplombe un promontoire d’où la vue à 360° est spectaculaire.  Ce Ksar berbère construit au Xe siècle servait à la fois à protéger la population des attaques étrangères tout comme de place de marché pour les caravaniers en transit.

Vue du Ksar sur la palmeraie l’El Goléa cms ©

Vu de loin, ce village fortifié, fait de glaise et de tronc de palmier est impressionnant. Son état est d’origine, très peu de restauration ont été entreprises pour le protéger. Il est dans son jus, à l’exception de sa mosquée et ses colonnades remarquablement préservée.

Au sommet du Ksar vue 360°sur la palmeraie cms ©

Du Ksar à la garnison française

Je déambule dans les ruelles jusqu’au puit du village qui a une profondeur de 30 mètres et qui alimentait en eau tout le ksar. Plus haut, en arrivant au sommet, un petit bâtiment  attire mon attention. Il semble plus récent et mon guide me le confirme. C’est un petit arsenal construit par l’armée française dans les années 1880 et qui servait de garnison à quelques troupes stationnées sur place.

La mosquée du Ksar cms ©

Au moment de la guerre d’indépendance, inutile de vous dire que cet endroit fut le théâtre de douloureux souvenirs qui restent encore profondément gravés dans la mémoire collective algérienne. Ce qui me mène à vous parler d’un l’officier français, Charles de Foucauld, qui arrive en 1880 en Algérie avec comme mission de mater les rebellions.

De Vicomte à Père Charles

Père Charles de Foucauld

Très vite, le Vicomte de Foucauld comprendra que ce métier et ses dérives ne sont pas faits pour lui. Il démissionne de l’armée française et entame un voyage comme géographe au Maroc et un pèlerinage à Jérusalem qui vont transformer sa vie. L’Islam sera sa première porte d’entrée vers la foi qu’il concrétisera en 1890 devenant en France moine trappiste. En quête de simplicité, le voici de retour dans le Sahara algérien où il fonde bien seul à Beni Abbes sa congrégation. Il se battra le reste de sa vie contre la colonisation française, l’esclavage et l’illettrisme afin de vivre au plus profond sa foi et de lui donner un sens. A Tamanrasset, à l’extrême sud du Sahara, il vivra pendant 6 mois avec les Touaregs. Il décodera en 1908 leur alphabet et rédigera un ouvrage unique : le dictionnaire Touareg (en français).   Il sera assassiné en 1916 à la porte de son ermitage.

Eglise St Joseph où le Père Charles est enterré cms ©

C’est à El Goléa qu’il est enterré, dans le cimetière qui jouxte l’église Saint-Joseph, la toute première église qui fut construite dans le Sahara en 1938 par les Pères Blancs. A noter que le Père de Foucauld a été canonisé en mai 2022 par le Pape François.

Ghardaïa, la porte mythique du Sahara algérien

En arrivant de Bruxelles, le vol qui nous mène d’Alger à Ghardaïa dure une petite heure. Me voici dans ce petit aéroport de campagne, directement dans l’ambiance. Objectif : la découverte du sud algérien. L’Algérie se rouvre au tourisme après des décennies d’effacement. Alors, profitons-en, les feux sont au vert ! Au fil de 5 articles, je vous livrerai mes impressions au fur et à mesure de la traversée de cette route saharienne et du Festival du Tourisme Saharien.

Avouons-le, les formalités sont un peu compliquées en Algérie, la coordination et certains temps d’attente également, mais une fois cela pris en compte, les belles découvertes seront bien au rendez-vous.  

La place du marché de Ghardaïa Daniel de Le Hoye ©

Ghardaïa est située à 600km au sud d’Alger, au fond d’une grande oasis qui regroupe 4 villages fortifiés appelés Ksar. Tous sont situés dans cette grande palmeraie étonnamment verte au cœur de cet endroit si hostile. La main de l’homme a pu dompter l’eau des oueds grâce à des barrages de fortune qui canalisent l’eau en cas de pluie vers des citernes enterrées, ou encore par d’ingénieux forages qui pompent l’eau pure de la nappe aquifère.  J’ai été surpris d’apprendre que dans cette partie du Sahara algérien, l’eau qui coule à profusion dans ces nappes provient des barrages du nord de l’Algérie.

En arrivant à Ghardaïa Daniel de Le Hoye

Troc et enchères sur la place du marché

Ghardaïa est une ville emmurée qui a eu ses heures de gloire à l’époque des caravanes qui traversaient le Sahara pour remonter vers le nord. Ces caravanes, en provenance du Mali, Niger et du Tchad, transportaient des dates, des étoffes et des épices… Les Mozabites, considérés comme les premiers marchands en Algérie, habitaient cette région où ils résident toujours. C’est grâce à eux que  la place du marché du Ghardaïa a connu une telle expansion : cette place servait de lieu de troc et d’enchères avec les caravanes qui descendaient du Nord avec de l’huile d’olive ou qui remontaient du sud avec de l’or ou des épices. Les habitants ne manquaient de rien et se sont progressivement enrichis grâce à cette seule route commerciale transsaharienne.

Une palmeraie où sont lovés ces 5 villages Daniel de Le Hoye

Face à tant de prospérité, des barbares venaient régulièrement détrousser les habitants de leurs réserves. Les sultans régnants ont donc toujours cherché à augmenter la sécurité de leurs villages par la construction de portes et d’enceintes (encore parfaitement conservées aujourd’hui) et de murailles faites de briques de terre glaise et de torchis.

Beni Isguen, un ksar classé à l’UNESCO

Ruelles de Beni Isguen vers la mosquée située sur un promontoire Daniel de Le Hoye

Les villages avoisinants dont Beni Isguen (classé à l’UNESCO) sont également des Ksours fortifiés. Chacun avait sa spécificité au niveau agriculture, élevage ou productions diverses. Il n’était nullement question de concurrence : ces villages favorisaient en effet les échanges et leur développement. Ces petites villes tortueuses vivent au travers de ruelles pleines de charme et de vie. Vous aimerez vous y perdre, mais attention, jamais seul(e)) ! Un guide est obligatoire pour y pénétrer.  Effectivement, dans ces villages épargnés du tourisme, les habitants n’aiment pas être photographiés. Les femmes sont couvertes d’un drap blanc et ne laissent entrevoir qu’un seul œil. Ne soyez pas surpris si elles rebroussent chemin lorsqu’elles vous aperçoivent !

Beni Isguen, une des portes d’entrée du ksar Daniel de Le Hoye

Une harmonie remarquable

Dans cette région, tout est construit en torchis, argile mélangé tantôt à de la fibre de palmier ou à des noyaux de dates pillés. J’y ai trouvé une véritable harmonie dans les couleurs. En effet, comment ne pas succomber face à ce style architectural saharien, ici parfaitement préservé jusque dans les nouvelles constructions ? Et pour en rajouter à la majesté des lieux, la palmeraie visible depuis chaque coin de rue, est d’une réelle beauté.

Des citernes d’eau montées sur des petits camions viennent approvisionner certains quartiers parfois encore trop éloignés de l’eau courante. Bon à savoir : certains de ces villages sont encore administrés par un Conseil de Notables qui se réunit avec le maire et l’Imam pour coordonner la politique générale de la commune.

La tour de fortification de Beni Isguen en haut du village Daniel de Le Hoye

Ghardaïa et sa région sont donc un point de départ incontournable pour qui veut découvrir le Sahara algérien que ce soit vers l’est et Timimoune, l’ouest vers Janet ou le sud vers Tamanrasset. Je me mets en route pour découvrir le premier Festival du Tourisme de Sahara qui promet bien des surprises. A très vite !

En direct du Festival Saharien en Algérie faites le plein d’émotions

Totalement remodelé après le Covid, ce premier Festival International du Tourisme Saharien de Ghardaïa et des environs est une vraie réussite. Confirmé pour les années à venir en décembre de chaque année, ce festival met en lumière l’immense richesse des tribus qui peuplent le Sahara algérien par un défilé folklorique et musical, des courses de chameaux et chevaux, un marché de produits artisanaux, un salon professionnel, des danses traditionnelles… le tout sur plusieurs jours.

Une symphonie de peuples et de tribus

Quelle ne fut pas ma surprise pendant le premier défilé des tribus de Tamanrasset, Djanet, Tindouf … et de tous les principaux villages du Sahara algérien, de voir autant d’ethnies différentes, de costumes plus chatoyants les uns que les autres, des instruments de musique au son si étrange, des couleurs de peau si variées, des chants profonds et fiers, des postures symboliques… Bref, une symphonie des peuples qui vivent au Sahara et qui ont pu par la force et le courage dompter le sable pour y rester depuis des siècles. C’est cela qui transpire dans cette parade, forçant respect et admiration tenant compte des difficultés à vivre quotidiennement dans cette partie du monde.

Ce festival vous plonge effectivement en un rien de temps dans la diversité du sud algérien, mettant en lumière cette richesse insoupçonnée que l’on ne peut découvrir en restant au nord dans des villes comme Alger, Constantine ou Oran.

Fantasia et courses de chameaux

A Sebseb, petit village situé dans une oasis à une encablure de Ghardaïa, était organisé le lendemain une Fantasia dans la plus pure tradition saharienne. Les participants venus des 4 coins du Sahara, défilent dans un premier temps sur leur monture avec fierté. Des combattants, arme ou sabre à la main, dressés sur leur cheval, et parfois sur des chameaux, concurrent ensuite dans le sable, avec en toile de fond de majestueuses dunes dorées.

Daniel de Le Hoye

Les mêmes gestes d’antan

A chaque fin de course, les baïonnettes armées de poudre à feu d’artifice inoffensive pétaradent dans un brouhaha et une ambiance typiques.  Voici les cavaliers qui du haut de leur monture se préparent à un second tour versant de la  poudre dans leurs armes avec minutie. De la tribune officielle, ou depuis des petits murets où les habitants des environs se pressent pour découvrir ce premier festival, la surprise est totale. Imaginez que les Algériens eux-mêmes découvrent cette nouvelle version de ce festival et pour certains aperçoivent pour la première fois certaines tribus dont ils ignoraient l’existence.

Daniel de Le Hoye

Seul petit regret, ne pas avoir eu un explicatif sur l’origine de chacune des tribus, et un explicatif de certaines danses et chants qui les accompagnent. Ce festival en tous cas vaut à lui seul le déplacement dans cette partie de l’Algérie.

En route maintenant vers le sud, la cité d’El Goléa sera ma prochaine étape.