Guyane, rendez-vous en terre sauvage

09-12-2025
Pour recevoir 250 000 visiteurs en 2030, le territoire français mise sur l’Amazonie et ses fleuves, l’ancien bagne des Îles du Salut et le centre spatial de Kourou. Trois locomotives touristiques pour découvrir, au-delà, une destination multiculturelle, riche de son histoire coloniale, de sa gastronomie et d’une biodiversité unique en Amérique du Sud.

Centre spatial guyanais, immersion inédite à Kourou

Implantée en Guyane depuis 1968, cet « aéroport spatial » incarne la volonté de l’Agence Spatiale Européenne (ESA) et de ses 23 Etats membres, dont la Belgique, d’avoir un accès souverain à l’espace. A Kourou, 60 km au nord-ouest de Cayenne, au bord de l’océan Atlantique, les fusées Véga-C et Ariane 6 mettent en orbite des satellites d’observation, militaires, météorologiques ou de communication qui permettent à l’Europe de maîtriser son ciel face aux concurrents américains, russes ou chinois. Kourou est aussi un site de lancement de satellites pour des clients étrangers.

Ariane 5
Modèle de fusée Ariane 5 à l’entrée du site. © Philippe Bourget ©

Japonais, Brésiliens, Indiens et même… Américains ont choisi Kourou pour leurs lancements. Amazon souhaite ainsi ne pas confier aux bases spatiales US de son concurrent Space X le soin de lancer ses propres satellites. Déployé sur 660 km², soit six fois la taille de Paris, le site se découvre en bus. Il sillonne un immense domaine forestier dans lequel des espaces défrichés accueillent bâtiments de recherche, de contrôle et pas de tirs. On apprend ainsi que 1 500 personnes travaillent sur le site, que jusqu’à un tiers de l’énergie produite en Guyane a été utilisée pour faire fonctionner les installations – des panneaux solaires permettront d’atteindre bientôt 15% d’autonomie -, que le choix de Kourou a été dicté par la proximité de la mer (plus sécurisant lors des lancements) et la stabilité climatique (pas d’ouragans) et que 1,3 million de litres d’eau se déversent sur un pas de tir lors de chaque décollage – le dernier de 2025, un départ d’Ariane 6, est prévu le 17 décembre pour placer en orbite deux satellites Galileo.

Pas de tir de la fusée Ariane 6.
Pas de tir de la fusée Ariane 6. © Philippe Bourget ©

Plus étonnant, on découvre que la base abrite la plus grande concentration de jaguars d’Amérique du Sud ! Après tout, c’est logique : ils vivent dans un espace entièrement protégé et l’interdiction de la chasse laisse à leur disposition une quantité considérable de gibier. Chaque mois, des visites sont programmées pour observer la faune (paresseux, fourmiliers…) et découvrir la biodiversité unique du site. Après le bus tour – il ne faut pas s’attendre à en descendre souvent pour prendre des photos, sécurité oblige -, le parcours se poursuit par l’impressionnante salle Jupiter 2, bardée d’écrans de contrôle et de postes de travail. D’une durée totale de 3h30, la visite se termine à Guyaspace Expérience, le récent espace muséal (2024) aux dispositifs numériques et interactifs consacré à l’histoire du site, aux coulisses des lancements, aux missions des satellites et à la naturalité sur la base.

Guyaspace
Salle du musée Guyaspace © Philippe Bourget ©
Dans la salle de contrôle Jupiter 2
Dans la salle de contrôle Jupiter 2 © Philippe Bourget ©

Cayenne, une cité dans sa langueur…

Vue sur le centre de Cayenne
Vue sur le centre de Cayenne © Philippe Bourget ©

Principale ville de Guyane et centre administratif du territoire, Cayenne, 55 000 habitants, baigne dans une torpeur équatoriale bousculée par quelques points d’animation et de visite intéressants. Ils valent d’y passer au moins une nuit et une journée. Avantage de sa relative petite taille : tout se découvre à pied et notamment l’héritage colonial, concentré en partie autour de la place des Palmistes, cœur de la cité.

La place des Palmistes, au cœur de Cayenne
La place des Palmistes, au cœur de Cayenne © Philippe Bourget ©

Plantée de grands palmiers, on y flâne allégrement sur sa pelouse centrale, sautant d’un stand de vendeurs ambulants à un espace ombragé. Dans un coin de la place, le bar des Palmistes, sa terrasse et son patio, captent l’attention. Sous un décor créole de la fin du 19ème s., avec parquet en bois et ferronneries d’époque, c’est le lieu le plus animé de Cayenne. On y vient pour prendre un verre, déjeuner de brochettes de crevettes ou d’une salade au poulet boucané.

La jolie maison coloniale abritant le musée des Cultures Guyanaises
La jolie maison coloniale abritant le musée des Cultures Guyanaises © Philippe Bourget ©

A l’ouest de la place, le Vieux Cayenne livre ses maisons coloniales anciennes à balcons ouvragés et volets de bois. Certaines sont superbement restaurées, d’autres, décaties, mériteraient de l’être. On y accède par la rue Rémire, où la visite du « old fashion » musée de la Franconie (histoire, artisanat guyanais…), près de la belle mairie, est conseillée. Les escaliers aux marches colorées qui prolongent la rue grimpent jusqu’à la colline Cépérou (un ancien fort), d’où l’on profite d’une vue élargie sur la ville et l’océan.

Vue sur l’océan Atlantique depuis la colline Cépérou
Vue sur l’océan Atlantique depuis la colline Cépérou © Philippe Bourget ©

En redescendant de la colline via la place Léopold Héder, où trônent une fontaine et les bâtisses coloniales du rectorat et de l’hôtel préfectoral, on gagnera les rues Lallouette et Général de Gaulle, épicentres de la vie commerçante. Une peu de shopping, un crochet  jusqu’à la place des Amandiers pour observer la mangrove qui a « mangé » la baie – phénomène qui se répète pas cycles -, quelques échanges amicaux avec des habitants – le sens de l’accueil et la gentillesse des Guyanais est généralement loué – et on ira se poser au passionnant musée des Cultures Guyanaises, rue Madame Payé.

Dans une antique maison restaurée (et dans une annexe, un peu plus loin dans la rue), la diversité culturelle du territoire est documentée à travers papiers d’archives, affiches et photos, depuis les peuplements amérindiens jusqu’aux temps modernes. On y retrouve aussi l’histoire des grands hommes guyanais et les sagas entrepreneuriales qui ont construit le territoire. Dans un genre totalement différent, on ira, juste à côté, voir le musée du « N’inport’koi », bric à brac d’objets en tous genres issu notamment d’artistes locaux.

L’atypique musée du « N’inport’koi ».
L’atypique musée du « N’inport’koi ». © Philippe Bourget ©

Les Îles du Salut, « un enfer au paradis »

C’est la formule habituellement consacrée pour qualifier ces trois îles, situées à 14 km au large du littoral de Kourou, qui ont servi de bagne à la France de 1852 à 1953. Après 1h15 de traversée en catamaran à moteur et une averse tropicale rafraichissante, on aborde ces trois îlots boisés à l’allure d’éden tropical. Impression trompeuse… Île Royale, île Saint-Joseph, île du Diable : pendant près d’un siècle, détenus de droit commun et prisonniers politiques ont été enfermés dans cette prison à ciel ouvert, condamnés aux travaux forcés ou à l’isolement. L’île Royale où l’on débarque comme pour visiter un îlot paradisiaque –végétation luxuriante, sentier littoral, crique de baignade…-, abrite les vestiges de ce qui fut un véritable village pénitentiaire.

L’arrivée du catamaran à l’Île Royale.
L’arrivée du catamaran à l’Île Royale. © Philippe Bourget ©

A pied, on découvre les équipements de cette vie recluse, l’abattoir, la villa Royale, la maison du directeur, les casernes militaires, la chapelle (et ses peintures murales réalisées par l’artiste faussaire, le bagnard Francis Lagrange), les ruines d’un couvent, la grande bâtisse de l’hôpital militaire, le camp de la transportation où logeaient les prisonniers, les bâtiments disciplinaires et des condamnés, les maisons des surveillants, un cimetière d’enfants… Jusqu’à 2 000 personnes ont pu vivre en même temps sur les îles, prisonniers et personnel pénitentiaire et leurs familles confondus. Durant la durée du bagne, environ 70 000 prisonniers ont été accueillis en Guyane, aux Îles du Salut mais aussi à Cayenne et à Saint-Laurent-du-Maroni, à l’ouest du territoire.

L’ancienne maison du directeur
L’ancienne maison du directeur © Philippe Bourget ©

Entre mauvaises conditions d’hygiène et épidémies, les conditions de vie aux Îles du Salut étaient terribles. L’endroit le plus éprouvant était l’île Saint-Joseph, où étaient reclus les prisonniers les plus récalcitrants où ayant tenté de s’évader.

Vestige de bâtiment du pénitencier.
Vestige de bâtiment du pénitencier. © Philippe Bourget ©

L’excursion sur cet îlot noyé dans la végétation laisse entrevoir la situation épouvantable de ceux qui y étaient exfiltrés. Le journaliste Albert Londres dénoncera ces conditions dans une violente diatribe, en 1923, après une visite sur les îles. Impossible en revanche de se rendre sur l’Île au Diable.

L’Île au Diable, où séjourna Dreyfus
L’Île au Diable, où séjourna Dreyfus © Philippe Bourget ©

Plus inhospitalière car séparée de l’île Royale par un bras de mer au fort courant, propriété du CNES (Centre National d’Etudes Spatiales) comme les deux autres îles – l’organisme y a établi un poste d’observation et de sécurité lors des lancements des fusées depuis le Centre Spatial Guyanais -, elle est célèbre pour avoir accueilli pendant 4 ans le capitaine Alfred Dreyfus, condamné pour haute trahison – il sera innocenté lors d’un procès en révision, en 1906. Depuis l’île Royale, on peut voir encore la case en pierre dans laquelle il séjourna, seul au monde.

« Ma vie » en carbet, où l’expérience de la forêt amazonienne

La nuit dans un hamac, une expérience…
La nuit dans un hamac, une expérience… © Philippe Bourget ©

Nature, nature et encore nature ! Avec 8 millions d’hectares de forêt et plus de 5.000 espèces animales et végétales – un seul hectare abrite jusqu’à 150 espèces d’arbres différents -, la Guyane est un territoire à la biodiversité exceptionnelle, une « Amazonie française » plus vraie que nature. Au sud, là où seuls les fleuves permettent de rejoindre les villages isolés abritant les 25 000 amérindiens de Guyane (7% de la population), la nature est protégée par le Parc Amazonien de Guyane, qui couvre 43% du territoire. On pourra choisir ce « tourisme d’aventure » avec des opérateurs locaux qui proposent des excursions en pirogues à moteur jusqu’à 5 jours pour découvrir ces tréfonds guyanais, autour de balades naturalistes, de séjours en forêts et de rencontres avec des amérindiens. Voies de circulation naturelles, les fleuves Maroni, Oyapock, Approuague et Kourou pénètrent la dense forêt et promettent des rencontres inoubliables, avec nuits passées dans des campements traditionnels, que l’on nomme ici carbets.

Baignade dans le fleuve Kourou.
Baignade dans le fleuve Kourou. © Philippe Bourget ©

Ah, le carbet ! Un logement fonctionnel en forêt mais aussi un style de vie. Sous une structure en bois ouverte sur l’extérieur, on dort dans des hamacs (plus rarement dans des lits), généralement au bord d’un fleuve ou d’une rivière, bercé par les bruits de la nature. Le campement abrite toujours un restaurant et des guides accompagnent les clients en journée pour explorer le milieu naturel. Ceux qui n’auraient pas le temps de partir loin au sud peuvent se satisfaire de carbets situés proches du littoral, facilement accessibles depuis Cayenne, Kourou ou Saint-Laurent-du-Maroni. C’est le cas du camp Maripas, situé à 25 mm de voiture  au sud de Kourou, au bord du fleuve éponyme. Joliment aménagé en surplomb du cours d’eau, on appréciera la cuisine et les boissons locales (dont d’excellents poissons, acoupas, atipas… et l’inévitable planteur) et le charme des structures en bois. En journée, on s’initiera au kayak et à la pirogue.

Le ponton d’embarquement du camp Maripas, près de Kourou.
Le ponton d’embarquement du camp Maripas, près de Kourou. © Philippe Bourget ©

A bord d’une P12 (12 passagers), on tentera de maitriser la technique de course qui consiste à pagayer de concert en glissant alternativement d’un bord à l’autre du bateau. Avant de plonger une tête dans le fleuve, dépourvu ici d’animaux dangereux. Le site propose aussi des randonnées pédestres, dont une vers la bien nommée montagne des Singes. Le camp dispose d’une base avancée en amont du fleuve que l’on peut rejoindre en une heure de pirogue à moteur. Un avant-goût plus prononcé d’une immersion en forêt, poumon vert de la Guyane.

Pirogue P12 traditionnelle sur le fleuve Kourou.
Pirogue P12 traditionnelle sur le fleuve Kourou. © Philippe Bourget ©

Plus d’infos

  • Comité du Tourisme de la Guyane

guyane-amazonie.fr

  • Centre Spatial Guyanais

centrespatialguyanais.cnes.fr

  • Camp Maripas

campmaripas.com