Le 25 juin 1991, dans la chaleur d’un été déjà lourd de tensions, les députés croates réunis à Zagreb proclament solennellement l’indépendance de la Croatie. Le vote est sans ambiguïté : après des siècles de compromis et de domination étrangère, le pays choisit enfin son destin. Mais ce jour d’enthousiasme marque aussi l’ouverture d’une guerre terrible, au cœur d’une Yougoslavie en train de s’effondrer.
© matthias-mullie
Depuis toujours, la Croatie est une terre de frontières. Héritière d’un royaume médiéval indépendant, elle passe sous la couronne hongroise, puis sous la tutelle des Habsbourg (dynastie régnant sur l’Autriche et la Hongrie). Chaque région porte les marques d’un voisinage exigeant : la Dalmatie (sur la côte adriatique) parle vénitien durant quatre siècles ; l’intérieur subit les pressions de l’Empire ottoman (jusqu’au traité de Karlowitz en 1699) ; la Slavonie et le bassin du Danube (au nord-est, aujourd’hui frontaliers de la Serbie) gardent l’empreinte austro-hongroise.
De ce mélange est née une identité complexe : slave par ses origines, latine par ses côtes, centrale-européenne par ses plaines, et profondément catholique (les Croates furent l’un des premiers peuples slaves christianisés au VIIᵉ siècle).
Au XXᵉ siècle, la Croatie rejoint en 1918 le royaume des Serbes, Croates et Slovènes, devenu Yougoslavie en 1929. Après la Seconde Guerre mondiale, elle devient une république fédérée au sein de la Yougoslavie socialiste de Tito. Mais après la mort du maréchal (1980) et l’effondrement du bloc communiste, les tensions refont surface.
© jonathan-smith
Le réveil national
Le printemps 1990 apporte un vent nouveau : pour la première fois, des élections libres ont lieu. Le parti de Franjo Tuđman, l’Union démocratique croate, l’emporte largement. Portée par ce mouvement, la population réclame plus d’autonomie, voire la rupture. Mais à Belgrade, le dirigeant serbe Slobodan Milošević s’oppose farouchement à tout éclatement de la fédération et rêve d’une grande Yougoslavie centralisée, dominée par les Serbes.
© mike-swigunski
Le 19 mai 1991, le peuple croate prend la parole. Lors d’un référendum, plus de 94 % des électeurs votent pour l’indépendance, ou, à défaut, pour une Yougoslavie transformée en confédération d’États souverains (comme le souhaitaient la Croatie et la Slovénie). Le rejet brutal de cette proposition par Belgrade rend l’indépendance inévitable.
25 juin 1991 : le jour décisif
À Zagreb, dans un Parlement bouillonnant d’attente, la déclaration tombe : la Croatie est désormais un État indépendant. Dans les rues, l’émotion est palpable. À Ljubljana, la Slovénie proclame son indépendance le même jour. La Yougoslavie tremble sur ses bases.
© annie-spratt
Mais Belgrade refuse cette rupture. Pour « protéger l’intégrité de l’État fédéral » et la minorité serbe de Croatie, l’armée yougoslave intervient. Très vite, les affrontements éclatent : le parc national des lacs de Plitvice devient le théâtre des premiers morts ; à Borovo Selo, les fusillades annoncent l’escalade. En parallèle, une « République serbe de Krajina » est proclamée, rattachée de force à la Yougoslavie.
Le prix de la liberté
De 1991 à 1995, la Croatie est en guerre. Les bombardements frappent Dubrovnik, Vukovar est assiégée et détruite après trois mois de résistance héroïque, les campagnes de Slavonie sont ravagées. Le pays vit au rythme des sirènes et des convois de réfugiés.
Peu à peu, une nouvelle armée croate se met en place. En 1995, deux grandes offensives changent le cours du conflit : l’opération Éclair, qui libère la Slavonie occidentale (région du nord), et surtout l’opération Tempête qui reconquiert la Krajina (au centre du pays). Ces victoires permettent de restaurer l’essentiel du territoire national, mais elles provoquent l’exode de près de 120.000 civils serbes vers la Serbie et la Bosnie-Herzégovine.
La dernière région occupée, la Slavonie orientale (frontalière de la Serbie), sera restituée pacifiquement à la Croatie en 1998, grâce à une mission de l’ONU.
La Croatie, dans son histoire actuelle
La communauté internationale reconnaît officiellement la Croatie dès le 15 janvier 1992. Mais c’est au prix d’une guerre meurtrière que le pays consolide son indépendance. Après la mort de Franjo Tuđman en 1999, son successeur Stjepan Mesić amorce une ère nouvelle : poursuites judiciaires contre les criminels de guerre, réformes démocratiques, ouverture vers l’Europe. En 2009, la Croatie rejoint l’OTAN. En 2013, elle intègre l’Union européenne, devenant ainsi le 28ᵉ État membre.
Aujourd’hui, l chaque 25 juin, le souvenir de cette journée de 1991 résonne : celle où, à Zagreb, un petit peuple balkanique proclama enfin son droit à la liberté.