L’Arménie, une invitation au voyage

L’aventure arménienne ne commence pas dans un aéroport, mais au cœur d’un jardin d’Éden à Erevan. Imaginez : une terrasse baignée de soleil en cette fin d’été, le parfum des fruits mûrs qui flotte dans l’air, et la mélodie poignante d’un doudouk qui s’élève. C’est là, chez le musicien Karen Hakobyan, que le ton est donné. Accompagné par sa femme au piano, il offre une parenthèse musicale suspendue, qui semble porter en elle toute l’histoire d’un peuple, sa mélancolie comme sa résilience. Ce n’est pas un simple circuit qui commence, mais une immersion dans un pays qui sait accueillir, offrant dès les premières heures une rencontre privilégiée, un moment de grâce partagé autour d’une collation généreuse.

Une terre de paradoxes

Ce périple est façonné par des rencontres d’exception, à l’image d’Irene Shaboyan, une guide locale tant experte que passionnée. Plus qu’une accompagnatrice, c’est une véritable passeuse de culture, un puits de savoir qui navigue avec la même aisance entre la géopolitique complexe du Caucase et les chants traditionnels qu’elle partage avec le groupe. Avec elle, l’histoire millénaire du pays devient un récit vivant. Elle raconte son Aménie, une terre grande comme la Belgique mais peuplée de seulement trois millions d’âmes, dont l’histoire a forgé une diaspora fière et active aux quatre coins du monde — et près de trois fois plus nombreuse que la population locale. Une nation chrétienne enclavée, sans accès à la mer, au carrefour de l’Europe et de l’Asie, dont le présent est encore marqué par des frontières tendues, notamment avec la Turquie et l’Azerbaïdjan. C’est avec ces clés de lecture en tête que, aux côtés d’un chauffeur expérimenté, l’itinéraire se déploie à travers des paysages d’une beauté brute et spectaculaire.

Le parcours est une succession de tableaux inoubliables. On quitte la capitale pour s’enfoncer dans de profondes gorges et gravir de hauts plateaux façonnés par une activité volcanique ancienne. La terre et la roche y déclinent une palette infinie de jaunes, d’ocres et d’oranges, créant des paysages à couper le souffle. On longe les rives du lac Sevan, immense mer intérieure d’un bleu acier perchée à 1900 mètres d’altitude, avant de faire face à la vision iconique du mont Ararat. Se découpant derrière les remparts de Khor Virap, sa silhouette mythique dépasse la simple carte postale. Bien qu’en territoire turc depuis la redéfinition des frontières au début du XX^e siècle, son héritage est omniprésent : il orne l’écusson national, a donné son nom au célèbre brandy du pays — entre autres —, et reste le symbole intime de l’âme arménienne.

L’encre, la pierre et la foi

L’Arménie est un livre d’histoire à ciel ouvert, celui du premier royaume à avoir adopté le christianisme en l’an 301. Cette foi profonde se lit partout, dans les innombrables sanctuaires perchés dans les montagnes, et surtout sur les centaines de khatchkars du cimetière de Noradouz. Ces “pierres à croix”, véritables dentelles de pierre classées au patrimoine de l’UNESCO, ne sont jamais identiques et semblent converser avec l’éternité. L’itinéraire inclut la visite du Matenadaran d’Erevan, l’institut des manuscrits anciens, où l’on découvre l’alphabet unique créé au V^e siècle par le moine Mesrop Machtots, véritable instrument de la survie culturelle de la nation face aux empires voisins. L’histoire s’incarne aussi dans des expériences exclusives, comme la rencontre avec Bogdan Hovhannisyan, maître-sculpteur de khatchkars, dans l’intimité de son atelier où cohabitent pierres sacrées et burins émoussés.

La visite du Mémorial du Génocide, perché sur une colline surplombant Erevan, est un moment essentiel, un choc nécessaire pour comprendre la résilience du peuple arménien et la réalité de sa diaspora. Conscient de l’intensité de cette étape, l’itinéraire prévoit, juste après, une halte à la célèbre distillerie du brandy Ararat. La dégustation de ce cognac chaleureux, dont une cuvée rend hommage à Charles Aznavour, devient un moment de partage et de convivialité, preuve d’un programme qui allie parfaitement les moments de recueillement et les plaisirs de la découverte — et qui offre l’occasion d’apprendre à trinquer en levant son verre et en lançant un joyeux Kenats !

Le goût de l’authentique

Et que dire de la gastronomie ? Une fête permanente. Les voyageurs découvrent des tablées débordant de légumes croquants, de fruits frais, de fromages, brochettes et poissons. Le point d’orgue est d’assister à la préparation du lavash, ce pain traditionnel (et savoureux) inscrit au patrimoine immatériel de l’UNESCO. La pâte est étirée à la main, plaquée d’un geste sûr contre les parois brûlantes d’un four enterré, desquelles elle est arrachée quelques secondes plus tard, fine, souple et craquante, encore fumante. Un geste millénaire, humble et impressionnant, qui se conclut par une dégustation inoubliable,

Des émotions fortes attendent aussi les voyageurs, comme lors de la traversée vertigineuse du plus long téléphérique du monde, “Les Ailes de Tatev”, qui survole un canyon à plus de 300 mètres de hauteur pour atteindre le majestueux monastère de Tatev. Au final, on revient de cette escapade un peu transformé, touché par la dignité et l’accueil d’un peuple à l’histoire douloureuse mais à l’âme si douce. C’est une plongée au cœur d’une culture millénaire qui marque durablement, une expérience riche et authentique, orchestrée avec soin.

Ingrid Otto