À mi-chemin entre Afrique et Arabie, Socotra aligne des arbres qui semblent sortis d’un rêve. Pourtant, tout y est authentique !
© andrew-svk
En mer d’Arabie, posée à quelques centaines de kilomètres de la Somalie et du Yémen, Socotra flotte comme un morceau de continent échappé à la dérive géologique. Longue d’environ 130 kilomètres, elle appartient au Yémen mais vit dans une réalité beaucoup plus vaste : celle d’un isolement de plusieurs millions d’années, hérité du temps où elle s’est séparée du Gondwana !
Cet isolement a façonné une biodiversité renversante. Plus d’un tiers des plantes seraient endémiques, un niveau comparable à Hawaii ou aux Galápagos. Une richesse qui a valu à l’archipel son inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO. Le paysage, lui, oscille entre plateaux de grès criblés de grottes, montagnes des Haghier perchées à plus de 1 500 mètres et plaines côtières brûlées de sel et de vent. Sur ce décor déjà peu banal viennent se greffer des silhouettes végétales qui défient toute classification.
Le dragonnier, un parasol millénaire
Symbole absolu de Socotra, le dragonnier (Dracaena cinnabari) pousse en altitude, là où la brume des plateaux nourrit ses racines. Sa forme de parapluie inversé intrigue autant qu’elle impressionne. Lorsque les naturalistes du XIXᵉ siècle l’ont décrit, ils parlaient déjà d’un arbre “fantastique”.
© andrew-svk
Sa sève rouge, le fameux sang-dragon, a circulé pendant des siècles sur les routes commerciales, utilisée comme teinture, vernis ou remède traditionnel. Ajoutez sa longévité — certains spécimens auraient plusieurs siècles — et vous comprenez pourquoi il déclenche immédiatement un imaginaire mythologique !
Mais la beauté du dragonnier cache une fragilité inquiétante. Il pousse lentement, très lentement : il lui faut environ cent ans pour atteindre sa silhouette adulte. Les jeunes pousses, elles, sont irrésistibles pour les chèvres laissées en liberté. Et une chèvre motivée est l’ennemie numéro un d’un arbre centenaire en devenir !
Une flore qui semble inventée
Socotra ne s’est pas contentée d’un seul arbre iconique. Elle a aussi l’arbre-concombre (Dendrosicyos socotrana), tronc ventru et branches maigres, digne d’un dessin d’animé un peu absurde. Les aloès endémiques, eux, poussent sur les éboulis rocheux, rigides comme des sculptures modernes. Ajoutez les figuiers pachycaules au tronc gonflé et vous obtenez un jardin botanique parallèle, comme si l’évolution avait testé des prototypes secrets ici, loin du regard du reste du monde…
© Vladimir Melnik - stock.adobe.com
Un climat qui façonne tout
Le climat de Socotra est un récit en lui-même. De mai à septembre, la mousson d’été souffle si fort que l’île semble vouloir s’envoler : accès quasi impossible, mer démoniaque, avions cloués au sol. De novembre à mars, une autre mousson apporte pluies, poussières et brumes épaisses sur les plateaux. Ce sont ces brouillards qui permettent au dragonnier et à ses compagnons de survivre dans un environnement par ailleurs désertique.
© Kertu - stock.adobe.com
Avec le réchauffement climatique, ces équilibres se dérèglent. Les tempêtes plus fréquentes ont déjà déraciné des milliers d’arbres. Le bois, utilisé parfois comme énergie faute de ressources locales, fragilise encore les derniers habitats naturels.
Y aller… ou pas ?
C’est la question délicate. Techniquement, on peut visiter l’île. Dans la pratique, elle se trouve sous administration complexe, dans un pays en guerre. Plusieurs gouvernements occidentaux (notamment le Canada, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande) recommandent d’éviter tout voyage au Yémen, Socotra comprise.
Les voyageurs qui s’y rendent passent par des agences spécialisées, seules capables d’organiser les vols charters (souvent via Abu Dhabi) et d’obtenir les autorisations nécessaires. Ce n’est pas un séjour classique : on y campe, on change d’itinéraire au rythme des vents et on accepte de renoncer à toute infrastructure moderne.