Le 11 novembre 1811, sur la côte caraïbe de la Nouvelle-Grenade (l’actuelle Colombie, englobant aussi à l’époque des territoires correspondant au Venezuela, à l’Équateur et au Panama), la ville fortifiée de Carthagène des Indes proclame son indépendance de l’Espagne. Ce jour-là, derrière ses murailles séculaires, l’une des plus riches cités du Nouveau Monde s’affirme comme pionnière d’une vague de libérations qui bouleversera l’Amérique latine.
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Fondée en 1533 par Pedro de Heredia, Carthagène des Indes prospère grâce à sa baie abritée et à sa position stratégique. Rapidement, elle devient un maillon essentiel de l’Empire espagnol, entre les Andes, les Caraïbes et l’Europe. Port de transit des richesses minières venues du Pérou et de la Nouvelle-Grenade, mais aussi marché florissant de la traite des esclaves, la cité attire toutes les convoitises.
Au fil des siècles, pirates et corsaires tentent de s’en emparer : le Français Jean-Bernard de Pointis la pille en 1697 au nom de Louis XIV ; l’Anglais Edward Vernon échoue à la prendre en 1741, perdant des milliers d’hommes sous les murs défendus par Blas de Lezo. Fortifiée, imprenable, Carthagène des Indes est l’un des bastions les plus précieux de la couronne espagnole.
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Les vents de révolte
Au début du XIXᵉ siècle, tout change. L’Espagne est affaiblie par l’invasion napoléonienne, et ses colonies d’Amérique s’agitent. À Caracas, à Buenos Aires, les juntes se multiplient, proclamant leur autonomie en attendant le retour d’un roi légitime. Carthagène des Indes suit le mouvement : le 14 juin 1810, une première junte locale est formée. Officiellement fidèle à Ferdinand VII, elle exprime déjà une volonté d’autonomie.
Mais très vite, l’incompréhension grandit entre les élites américaines et la métropole. Les créoles demandent l’égalité politique avec les Espagnols de la péninsule, mais Madrid refuse obstinément. Le sentiment d’injustice se transforme en revendication d’indépendance.
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11 novembre 1811 : l’acte fondateur
C’est dans ce contexte que, le 11 novembre 1811, Carthagène des Indes franchit le pas. Réunis dans la ville fortifiée, les représentants de la province signent la déclaration d’indépendance : pour la première fois en Nouvelle-Grenade, une cité rejette officiellement l’autorité espagnole.
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La nouvelle se répand comme une traînée de poudre : d’autres provinces suivent l’exemple, et le 27 novembre, un congrès réuni à Tunja fonde les Provinces-Unies de Nouvelle-Grenade, un embryon d’État fédéral dont Carthagène des Indes fait partie.
Entre gloire et répression
Mais l’indépendance de Carthagène des Indes n’est pas un long fleuve tranquille. En 1815, l’armée royaliste, conduite par le général Pablo Morillo, assiège la ville pendant plus de trois mois. Affamée, épuisée, la cité finit par capituler le 6 décembre. La répression est terrible : exécutions, emprisonnements, exils. L’« héroïque Cartagena » paie un lourd tribut à sa précocité. Il faudra attendre 1821, après d’âpres batailles pour que Carthagène des Indes retrouve définitivement sa liberté.
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Héritage d’une cité héroïque
Aujourd’hui encore, Carthagène des Indes se souvient. Ses murailles inscrites au patrimoine mondial, ses places, ses rues coloniales racontent autant son âge d’or marchand que son rôle pionnier dans l’indépendance colombienne.
Le 11 novembre est célébré comme jour de l’indépendance de la ville, fête colorée où résonne toujours la devise implicite des patriotes de 1811 : une cité libre ouvre la voie à une nation libre.