Nous sommes le 23 juillet 1970, et le destin d’Oman tient dans le souffle suspendu d’un jeune homme de 29 ans, Qaboos bin Saïd, prisonnier dans sa propre maison, rêvant d’un pays qui pourrait enfin s’ouvrir au monde.
© julius-yls-
Depuis des décennies, le sultanat de Mascate et Oman vivait replié sur lui-même, coupé du monde moderne. Le vieux souverain, Saïd bin Taimur, dirigeait son royaume avec une méfiance farouche envers tout changement. Il interdisait les radios, les journaux, même les lunettes de soleil, perçues comme des signes d’influence étrangère. Les routes goudronnées et les écoles étaient rares, les hôpitaux presque inexistants.
Dans le sud, la rébellion du Dhofar grondait. Soutenus par les puissances communistes, les insurgés menaçaient de faire éclater le sultanat. Londres, partenaire historique d’Oman depuis le XIXe siècle, observait la situation avec inquiétude. Le vieux sultan, obstiné, s’enfermait dans son palais, tandis que les officiers britanniques, las de son immobilisme, songeaient à une alternative.
Le coup de Salalah : l’aube d’un règne nouveau
Les préparatifs du changement se firent dans le plus grand secret. Des messages enregistrés sur cassettes furent envoyés à Qaboos, alors retenu par son père Le Sultant. Le plan, orchestré par les Britanniques, prévoyait un coup rapide et sans effusion de sang. À l’aube du 23 juillet 1970, les troupes du Desert Regiment encerclèrent le palais d’Al Hosn. Les gardes, déjà convaincus de ne pas résister, laissèrent passer les hommes armés.
© katerina-kerdi
Quelques minutes plus tard, le vieux sultan abdiquait. Blessé, vaincu, il signa le document qui confiait à son fils le destin du pays. Le soir même, un avion britannique l’emporta vers Londres, où il vécut ses dernières années à l’hôtel Dorchester. Le jeune Qaboos, lui, s’adressa à la nation à la radio : « J’ouvre un nouveau chapitre de notre histoire… »
La naissance d’un Oman moderne
En quelques années, Oman se réinventa de fond en comble. Qaboos mit fin à l’isolement et utilisa la manne pétrolière, jusque-là dilapidée, pour construire un État moderne. Des routes pavées sillonnèrent le désert, reliant les villages autrefois coupés du monde. Des écoles et des hôpitaux surgirent dans chaque province, tandis que les femmes furent encouragées à étudier et à travailler.
© hongbin
Le sultan lança une diversification économique audacieuse : exploitation du gaz naturel, création d’infrastructures portuaires à Sohar et Duqm, développement de l’agriculture et de la pêche, puis ouverture à l’investissement étranger. L’objectif était clair : ne plus dépendre uniquement du pétrole.
Sous sa direction, Oman adopta un modèle de croissance mesuré, plus humain que celui de ses voisins du Golfe. Loin des gratte-ciel tapageurs, le pays privilégia l’équilibre entre tradition et modernité. Les anciennes forteresses furent restaurées, les souks préservés, les mosquées construites dans un style harmonieux avec le paysage.
Sur le plan diplomatique, Qaboos fit d’Oman un havre de neutralité et de dialogue. Le pays accueillit des négociations régionales, devint un médiateur respecté et conserva une stabilité rare au Moyen-Orient.
Le souffle d’un destin accompli
Aujourd’hui, Oman incarne l’élégance tranquille de la modernité arabe. Sa capitale, Mascate, déroule ses boulevards immaculés entre mer et montagne. Les ports de Sohar et Duqm illustrent la nouvelle orientation économique du pays : plateformes industrielles, zones franches et corridors logistiques reliant l’Afrique, l’Inde et l’Asie. L’énergie solaire et l’hydrogène vert y annoncent déjà l’après-pétrole.
© monika-guzikowska
Mais c’est aussi sur le plan humain et culturel que le sultanat séduit. Le tourisme s’y développe avec douceur, loin des excès du luxe artificiel. Les visiteurs découvrent les fjords turquoise de Musandam, les dunes dorées du désert de Wahiba, les wadis verdoyants de Tiwi et Shab, ou encore les montagnes du Jebel Akhdar, couvertes de rosiers et de plantations en terrasses. Les souks de Nizwa embaument la myrrhe et l’encens, tandis que les villages côtiers préservent l’art ancien de la navigation et de la pêche.
Oman est aujourd’hui un pays stable, prospère et apaisé, où les traditions millénaires se marient à un développement raisonné. Son peuple, fier et accueillant, incarne la vision d’un souverain qui voulut transformer une terre oubliée en nation modèle.